FESPI – Mercredi 30 octobre

Cet atelier soulèvera plusieurs questions récurrentes dans l’éducation nouvelles, mais abordées sous la perspective d’organismes aux vocations assez différentes. Qu’est-ce qu’un collectif d’élèves ? Comment s’organise-t-il par-delà les différences sociales et scolaires ? Comment peut-on créer un sentiment d’appartenance tout en développant l’autonomie (empowerment) des élèves vis-à-vis du groupe, des savoirs, de l’établissement scolaire ?

Le Québec rencontre la France qui rencontre le Québec. Quid de l’autonomie et du collectif dans des organisations, des associations, des mouvements ? Trois mises en situation, en contexte, en histoire, amènent dans cet atelier un véritable parti pris de l’échange de pratiques. 

 – Marguerite* est référée par la direction de l’école, elle va être virée. La direction nous propose de la soutenir. Marguerite est agressive, elle menace les enseignants verbalement, elle peut exploser. Le début de la prise en charge :  par l’explication du travail qui va suivre, l’accompagnement individualisé. L’engagement doit être réciproque, on lui demande de s’engager avec nous, et nous lui proposons de nous engager avec elle. Notre but, lui permettre de réintégrer la classe de manière ordinaire. Pour cela, nous allons mettre autour d’elle tout un accompagnement psychosocial : qu’est-ce qu’il en est de son logement, de son organisation de vie, de sa santé? Qu’est-ce qui fait qu’elle ne se contrôle pas ? Trouble de la personnalité limite. Approche de la psychiatrie pas claire. Un accompagnement, de l’hôpital, un psychiatre, de la médication. Marguerite est une décrocheuse depuis quelques années. Dans le groupe, Marguerite fonctionne bien, et profite de ce que le groupe peut lui apporter, elle développe des habiletés, des stratégies de communication non violente. On va travailler beaucoup l’estime de soi. Marguerite a été suivie par Déclic pendant 3-4 ans, et il arrive à l’occasion que l’organisation lui donne depuis 10 ans encore des coups de main, elle va bien, l’équipe n’a pas fermé le lien d’intervention. Marguerite avait 20 ans, aujourd’hui elle en a 30.

– Alain* est référé parce qu’il est dans une classe à effectif réduit, et que malgré ce contexte, il n’y arrive toujours pas. On ne réussit pas à le faire passer dans le secondaire. Il est arrivé avec un diagnostic : probablement un trouble du langage, il y a de l’anxiété, ce n’est pas trop sûr. Ce n’est pas du côté social que ça ne va pas, Alain vit avec son père. Alain apparaît en déficience, en bout de ligne du diagnostic. Notre service ne permettait pas de répondre à ce genre de difficulté. Il avait 22 ans. Aujourd’hui, il fait un travail autour de l’insertion professionnelle, pour l’accompagner à développer de l’autonomie. C’est un échec, pour l’organisation qui n’était pas équipé pour s’occuper de déficience légère. Alain, il venait chercher la socialisation dans la structure scolaire, il y avait de l’ambivalence entre les attentes de la structure scolaire, et l’organisation qui ne savait pas vraiment comment l’accompagner, mais aussi avec sa famille. L’accompagnement a duré un an, il y a avait des attentes, des mécontentements sur ce qui était pris comme des troubles de comportements, du mal à voir les possibles. 

– Le troisième arrive en démarche de pré-scolarisation, pour développer des compétences de base, se laver, bien s’alimenter, arriver à parler avec les autres. On sent qu’il y a des enjeux possibles et rapidement ce qu’on constate c’est qu’il réagit très fort, il se sent menacé, insécure, le niveau d’intervention nécessaire pour participer dans le groupe est difficile, on lui demande de se rabattre sur l’accompagnement individualisé. On peut l’accompagner de manière individuelle pour réorganiser des choses. Malheureusement, c’est lui qui stoppe l’accompagnement. Il refuse. C’était Christophe*, 19 ans. Pour Christophe le groupe ça a été 4 jours, c’était violent et dangereux qu’il y reste. 

*Les prénoms ont été changés.

Témoignage d’une Orthopédagogue au Québec, après 4 ans d’études en éducation ciblée sur les troubles de l’apprentissage, l’Orthopédagogue va s’adapter à toutes les situations, avec du handicap moteur adapté l’espace, grossir les feuilles, les polices, utiliser des polices sans serif pour les dyslexiques, des systèmes de haut-parleur pour projeter la voix comme si l’adulte était à côté de tous. Elle est spécialiste de la micrograduation, avec des élèves qui ont des problématiques spécifiques, elle va réfléchir très concrètement l’accompagnement. La façon d’apprendre prend plus compte de la façon d’encoder, on parle de classe flexible : pour permettre d’adapter l’enseignement, l’environnement à l’étudiant pour qu’il puisse réaliser des apprentissages dans un système le moins anxiogène possible. Le développement de l’enfant passe par autre chose que l’enseignement classique : faire un budget, apprendre à gérer les horaires, ça fait aussi partie de la tâche de l’Orthopédagogue. Il y a aussi un accompagnement de la famille. Afin de permettre au jeune d’avoir une vie sociale comme les autres jeunes de son âge. Son élève type a un grave trouble de l’attention, certains sont médicamentés d’autres non, dyslexiques, dysorthographique. Et très souvent on constate un problème d’anxiété. C’est une clientèle assez lourde, l’Orthopédagogue est hyper formée, avec des classes de maximum quinze élèves. 

La structure Déclic est un organisme autonome financé en partie par le ministère de l’Éducation du Québec, un financement par mission. Rien n’est donc gagné d’avance. Programme de collaboration avec le milieu scolaire. Multiniveaux et multimatières. Approche globale de la personne. Travailleurs sociaux, généralistes en psychosociaux, psychologues, pluridisciplinarité. 10 intervenants. Ils se sont départis du côté « école ». Ils sont plutôt dans le secteur, attention gros mot, privé. Le groupe est mobilisé, sur le développement de compétences. Pour en savoir plus : http://www.declic.ca/about.html 

La pression sociale est tellement forte que la scolarisation devient prétexte. Si on promouvait nos services comme des services de socialisation, ce serait plus difficile. La socialisation des petits groupes c’est très difficile. L’école c’est plus accrocheur. On utilise cette motivation de l’école pour socialiser. C’est moins vendeur de travailler sur l’estime de soi pendant 10 ans. Pour autant collaboration intrinsèque de l’école et de l’estime de soi. La socialisation est nécessaire pour les jeunes adultes. 

Une personne a eu son Christophe dans un lycée autogéré parisien, un jeune qui a été diagnostiqué, avec une crise de démence et un passage en hôpital psychiatrique. L’équipe a refusé de le réinscrire, parce qu’ils n’étaient pas capables, ils ne se sentaient pas capables de l’accompagner. Ils ont aussi des élèves pris en charge pour de la toxicomanie, des emplois du temps aménagés, avec un tuteur qui construit un emploi du temps individualisé, et des suivis extérieurs. Pour ceux avec qui ils ont le plus de difficultés, ils passent des contrats, il y a aussi un suivi avec les parents. La grande spécificité de cet établissement, c’est que des enfants peuvent venir pour ne pas préparer le bac. 

En France, il y a des inégalités sur les territoires, avec nos structures, on passe un temps infini à établir des contacts avec des établissements médico-pédagogiques. On est dans une faiblesse, il faut reconstruire un partenariat, après ce qui est intéressant c’est l’évolution de ces lieux et de ces structures qui s’ouvrent au partenariat. Le lien est maintenu aussi, on le suspend, mais ils peuvent nous rappeler les jeunes à chaque fois. 

Dans une maison d’enfants, il y a une sur-spécialisation des acteurs. Des enfants sont pris en charges par de multiples structures, sur le suivi médical, scolaire, psychologique, quotidien et à chaque fois, on passe plus de temps à apprendre comment travailler ensemble, à se comprendre, plutôt qu’à travailler avec les jeunes dont on a la charge. C’est sans doute aussi lié à ces formations très spécialisées. Par contre, on a des moyens, ce qui nous manque c’est du temps pour discuter en équipe de ce qu’on en fait. Comment on fait culture commune ? Avec des structures aussi différentes ? La pédagogie ne peut pas tout ? On est coincé par certaines structures et le manque de moyens. 

Une expérience assez différente, avec cette chanteuse et professeur de chant, qui accueille des gens qui sortent d’hôpitaux psychiatriques, de tous les âges, la pratique éducative est très forte, et des personnes viennent resociabiliser dans cet espace, ils s’y trouvent comme à la maison, quelque chose qui les rassemble. 

C’est au tour d’une enseignante spécialisée, qui s’est auto-formée de témoigner. Elle a passé son diplôme en candidate libre en lisant des livres. Elle s’occupe de jeunes enfants qui ne relèvent pas forcément du handicap, qu’on met là parce qu’il y a de la place, il faudrait ouvrir des structures pour ceux qui n’ont pas envie d’aller à l’école. Rien n’existe à côté du collège. Sa structure est un peu toute seule. Elle travaille avec des éducateurs, parce qu’elle fait partie de ces lieux qui accueillent des jeunes qui sont placés partout et nulle part à la fois, dans des parcours multiples. 

Comment s’occuper de ces jeunes qui tombent dans les « cracs », « les troues du plancher » ? Une expérience québécoise a fait ce pari, avec un micro lycée qui s’occupe des jeunes de plus de 16 ans jusqu’à 50 ans, passant par la délinquance et l’alphabétisation. Je me suis demandé si ce n’était pas comme un fourre tout. En France, des expériences parisiennes de micros lycées existent justement, avec des adultes décrocheurs qui sont revenus passer le bac. Cette professeur s’interroge sur leurs parcours différents, qu’elle nomme « l’après-délire de toute-puissance », des parcours qu’il est parfois pour elle impossible à transmettre mais aussi à mettre ensemble. Elle amène la dimension collective, ces adultes viennent aussi d’horizons très différents. 

Le lycée expérimental de Saint-Nazaire partage son expérience : ils font le lycée ensemble avec les élèves, ils n’ont pas d’assistante sociale, de médecin, d’infirmière, mais ils ont construit un réseau, sur les addictions, avec les maisons des adolescents. Ils ont des aides diverses et variées, ils sont très ouverts. L’éducation populaire rentre dans le lycée, ils se projettent pour donner du sens aux apprentissages au-delà du diagnostic. D’ailleurs qu’en est-il de cette question le Québec n’aurait-il pas une culture du diagnostique ? Un enseignant a aussi le sentiment qu’ils ont un système particulièrement pointu sur des profils clairement définis d’élèves, alors que lui a le sentiment de travailler comme voitures-balais dans les lycées, « on y croit on sait pas pourquoi pas ça marche, mais ça marche. » Une différence culturelle autour de polyvalences bricolées ? ou d’hyper-spécialisation ? Comment arriver à transmettre nos formations aux uns et aux autres ? 

La réponse : « Peut-être que quand on parle nous les Québécois on peut montrer une différence de paradigme énorme. Sauf que dans les classes de 15, il y a de tout, des troubles très grands d’apprentissages, des syndromes très rares, on a tout un mélange, et l’idée c’est de ne pas étiqueter, chez nous lorsqu’il y a un diagnostique, il y a une enveloppe budgétaire ministérielle qui accompagne jusqu’à 18 ans. L’enveloppe suit. C’est comme ça qu’on est capable de payer l’école de spécialistes. » L’Orthopédagogue ne voit pas des étiquettes, elle connaît ses élèves, parce que sa façon d’enseigner à cet élève spécifiquement ne sera pas la même qu’à cet autre. C’est l’adaptation aux jeunes, plus que le diagnostic. Et tout ce qu’elle peut créer comme méthode, technique est partagé sur le réseau. Tout le monde peut s’en emparer, ou pas. Au Québec, on se rend compte qu’au niveau du système scolaire, il n’y a pas l’idée de ségrégation scolaire, mais d’inclusion, on intègre les élèves avec leurs difficultés. Il y a des spécialistes qui vont venir et si les spécialistes ne peuvent plus répondre, c’est une structure de soin intensif qui prendra le relais. Il y a aussi une différence de vocabulaire, ils ne parlent pas de trouble mais de défi d’attention ! « On vise les plus poqués. » 

Peut-être qu’en France, on va faire avec ce qu’on peut, avec ce qu’on a. Dans les écoles ordinaires, les personnes s’habituent à être comme la société attend qu’elles soient. Au Québec il y a davantage une pédagogie du prendre soin, avec le développement de la confiance, pour que l’enseignement soit moins anxiogène. En France, il y a du bricolage de gens bienveillants, et pour les cas plus graves, il y a des diagnostics aussi. Les Dysprasie, dysorthographie, dys… existent aussi, mais sans qu’on sache le passé des élèves, on ne sait absolument rien des parcours scolaires, on fait juste fonctionner des collectifs, sans faire attention à cet individu spécifique qui a des besoins de ce petit truc spécial, même dans les lycées en autogestion, il peut y avoir des élèves en décalage total avec le milieu scolaire, des élèves qui refusent les notations, et des origines aussi diversifiées du pourquoi ils sont là, mais on a toujours cet effet de noyer l’individu dans le collectif. Des petits ajustements sont possibles. 

En gros, la question du collectif est importante, des groupes professionnels, la question de l’autonomie et d’aider les jeunes à devenir autonome, y compris dans leur insertion sociale, même avec leurs limites. Ce n’est pas parce qu’on est limité qu’on ne peut rien faire. L’idée d’individualiser des parcours vers de l’autonomie est très en lien avec la question de la taille de nos structures. « On est que des enseignants », « Notre Charles était dangereux » tous ont un bout de chemin à faire, et c’est peut-être le plus important, quel qu’en soit les parcours. Il y avait la question des partenariats, on pensait que des professeurs bienveillants pouvaient tout, on travaille finalement avec ceux qu’on trouve, avec une qualité qu’on trouve, maintenir le lien apparaît des deux côtés. Il y avait une question de financement public, et privé. Des financements qu’il faut chercher souvent. La question des enfants, des jeunes non diagnostiqués, de ceux qui ont des besoins spécifiques. Le collectif et le fait que la pédagogie ne règle pas tout. On voit aussi que des pratiques vont au-delà de l’école. Entre des structures qui perdent du temps à s’expliquer avec quinze partenaires, le temps qu’on passe à s’arrimer à ces services, et ces structures où tout est à l’intérieur : qu’est-ce qui est bon à prendre ? La formation ? Qu’en est-il de l’auto-formation ? Oui peut-être que certains jeunes disparaissent dans les « cracs » du plancher, on les voit émerger plus tard, passant à la formation pour adulte, et d’autres besoins apparaissent, et tous nous avons en tout cas de partagé, la culture de la débrouillardise. 

Propos recueillis par Chloé Cnl